L’agriculture est à une date charnière

L’intelligence artificielle fait couler beaucoup d’encre et dérouler beaucoup de pellicule mais, hormis au jeu de go où elle a prouvé son efficacité, elle se fait plutôt discrète. En agriculture encore d’avantage. Antoine Cornuéjols, professeur d’informatique à AgroParisTech démystifiait le sujet aux culturales 2019.

"Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est partout… notamment dans nos Smartphones, souligne Antoine Cornuéjols, professeurs d’informatique à AgroParisTech. D’ici peu, l’intelligence artificielle (IA) va révolutionner la médecine en aidant les médecins à rechercher plus facilement des cas particuliers dans la littérature. Idem pour la justice aux USA, basée sur la jurisprudence. L’IA pourra aider les différentes parties à trouver des cas de jugements similaires. Pour autant, il sera difficile pour l’IA de se passer de l’expert humain quel que soit le domaine abordé. C’est se dévaloriser que d’imaginer que l’IA pourrait un jour remplacer le cerveau humain. Les « machines » sont excellentes pour ce qui est de la perception, mais pas pour le raisonnement… Ce qui limite donc fortement leur usage. D’autant plus qu’aujourd’hui, il faut incrémenter manuellement énormément de données dans le système pour qu’il fonctionne." L’expert est encore à des années lumières de disparaître…

L’IA manque encore de jugeote

Actuellement, la création d’une intelligence artificielle, c’est 90 % de temps de préparation et d’incrémentation des données en lien avec le sujet à traiter dans le système et 10 % de temps à l’apprentissage par la "machine". À ce titre, l’IA ne reste qu’un assistant permettant d’amplifier les connaissances/l’intelligence de l’homme.

"Si la méthode d’apprentissage automatique a l’avantage de réduire la tâche d’incrémentation manuelle dans le système, évoque le professeur en informatique, elle ne permet pas d’aboutir à des systèmes experts en capacité de raisonnement. Le vrai déficit de l’IA aujourd’hui réside dans son manque de capacité de raisonnement."

Or, un outil d’aide à la décision se caractérise par trois grandes actions :

- décrire : être en mesure de synthétiser les données ;

- prédire : étiqueter les situations et prédire les tendances. Il s’agit ici de créer des corrélations que l’IA est très capable de réaliser aujourd’hui au travers de la méthode d’apprentissage ;

- intervenir : identifier les leviers d’intervention et leurs forces. La découverte de causalités… Cela reste l’étape la plus difficile à entreprendre par l’IA.

Les prémices en agriculture

Cela étant dit, l’IA en agriculture n’en est qu’à l’état de recherche si l’on met de côté le machinisme. L’agriculture est en effet à une date charnière car les données sont encore assez rares quoi qu’on en dise mais la multiplication des capteurs dans un futur proche devrait résorber rapidement cette difficulté. Or, les données représentent l’exigence première de l’intelligence artificielle afin de réaliser son apprentissage. Le second point essentiel dans la construction de l’IA, c’est l’expertise : des "data scientists" dont le nombre a été multiplié par deux en huit ans à travers le monde ainsi que des experts métier qui maîtrisent les pratiques dans le domaine ciblé – l’expertise agricole en ce qui nous concerne. L’IA c’est ensuite une débauche de moyens de calcul. "Si le numérique était un pays, à lui seul, en 2013, il aurait été le cinquième plus gros consommateur d’électricité au monde, chiffre Antoine Cornuéjols. Ne serait-ce qu’en France, le numérique représente 15 % de la consommation électrique du pays. Enfin, l’IA ne doit pas être élevée à plus que ce qu’elle est vraiment… C’est-à-dire qu’il ne faut absolument pas lui faire une confiance aveugle. L’IA a besoin d’utilisateurs avertis. Cela s’explique tout simplement par le fait que dans la « construction » de l’IA il existe de nombreux biais et pré-supposés qui orientent nécessairement les réponses du système."

L’inimaginable dans un cadre bien établi

Prenons simplement l’exemple des traducteurs automatiques actuels. Les meilleurs systèmes qui existent sont des systèmes qui ne comprennent pas ce qu’ils traduisent. Si leur traduction est bien souvent très fidèle, il peut parfois se glisser des erreurs grossières. C’est peut-être bien là toute la difficulté avec l’IA. Dans les années 1950 et 1960, au commencement de l’IA, la capacité des systèmes à raisonner seuls était le Graal ! Pour les experts de l’époque, la connaissance signifiait la puissance. Pour eux, un traducteur automatique devait comprendre ce qu’il traduisait pour bien le faire. L’exact opposé de la réalité d’aujourd’hui.

Conclusion ? Les systèmes actuels ne sont que des assistants ! La véritable IA doit avoir la capacité d’apporter une solution totalement nouvelle dans l’histoire face à une situation donnée. La machine doit aller plus loin que ce que l’homme a mis en elle dans le cadre de ce pourquoi elle a été créée. "Par exemple au jeu de go, la machine a innové afin de battre le meilleur joueur du monde", explique le professeur. En revanche, la machine ne se pose jamais la question de ce qu’il arriverait si les règles du jeu changeaient. Les règles du jeu, c’est l’enveloppe du possible dictée par l’homme. Une enveloppe dans laquelle l’IA peut réaliser des choses que l’homme n’imagine même pas.

 

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