Le monde agricole a-t-il bénéficié de la révolution ?

Des élections présidentielles libres ont lieu en ce moment en Tunisie. Le deuxième tour est prévu le 21 décembre. La nouvelle équipe en place apportera-t-elle ce nouveau souffle dont a besoin l’agriculture, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011 ? Va-elle répondre aux revendications d’accès aux ressources et de réorganisation des conditions d’exercice de l’activité agricole.  Alia Gana, directrice de recherche au CNRS, donne ici son point de vue à l’aune de ce nouveau gouvernement.

Comment se porte en ce moment l'agriculture tunisienne ?

Bien qu’ayant connu une croissance soutenue au cours des deux dernières décennies (3%), l’agriculture tunisienne ne contribue plus en moyenne qu’à hauteur de 12% au PIB et n’emploie plus que 16% de la population active, contre 19% pour l’industrie et 50% pour les services.

En lien avec l’expansion du secteur irrigué, la structure de la production agricole s’est fortement diversifiée et son évolution a été marquée par une croissance importante des productions maraîchères et fruitières ainsi que des produits de l’élevage. Cette évolution s’est néanmoins accompagnée d’une forte augmentation des importations de céréales et d’un déficit croissant de la balance agricole (en moyenne 55% des céréales consommées, 100% des besoins en aliment de bétail pour l’aviculture et 40% pour l’élevage bovin sont importées). La dépendance à l’égard des marchés extérieurs exerce une pression croissante sur les budgets publics et réduit la capacité de l’État à subventionner les produits alimentaires de base, surtout depuis la crise alimentaire de 2007-2008.

L’agriculture tunisienne fait face à d’importantes contraintes, liées au dualisme accentué des structures agraires, au vieillissement de la population agricole, à la faible insertion des agriculteurs aux circuits de crédit, à l’affaiblissement des capacités d’intervention des pouvoirs publics, tant en matière d’investissements qu’en matière d’encadrement. S’ajoutent à ces contraintes celles liées à la dégradation des ressources en terre et en eau et aux effets du changement climatique. 

Les politiques agricoles ont-elles un rôle dans la crise tunisienne ? Quelle agriculture encouragent-elles ?



Dès la fin des années 1980, les politiques d’ajustement structurel et de libéralisation économique ont assigné à l’agriculture tunisienne le rôle de contribuer aux grands équilibres macro-économiques du pays. Les politiques sectorielles ont été axées sur le développement de l’agriculture d’exportation et ont favorisé la réallocation des ressources au profit du secteur des grandes exploitations et de l’agriculture intensive en irrigué.

Par ailleurs, la privatisation des circuits de commercialisation, la réorganisation du système de crédit, ainsi que l’importante réduction des subventions aux intrants ont eu des effets discriminatoires sur l’agriculture familiale, particulièrement dans le secteur en sec.

Alors que d’importants mouvements de protestation ont secoué le monde agricole, la phase de transition politique qui a suivi  le 14 janvier a été marquée par un attentisme des pouvoirs publics face aux revendications en matière d’accès aux ressources et de réorganisation des conditions d’exercice de l’activité agricole. Aucune réflexion de fond sur le rôle susceptible d’être joué par l’agriculture dans la résorption du chômage en milieu rural et le développement des territoires marginalisés n’a véritablement été engagée. Bien au contraire, les orientations passées du développement agricole ont été réaffirmées, en particulier celles axées sur l’encouragement des investissements étrangers et sur la promotion des exportations. Présentés comme le moyen d’intensifier la production agricole et de créer des emplois pour la population rurale, plusieurs accords de financement de projets agricoles sur les terres de l’État ont été conclus avec les pays du Golfe.

En quoi les agriculteurs sont-ils partie prenante des changements politiques ?

La montée en puissance des mobilisations sociales en milieu agricole constitue un fait marquant de la période de bouleversement politique en cours en Tunisie. Il faut en effet rappeler que le soulèvement populaire qui a conduit à la « révolution tunisienne du 14 janvier 2011 est parti des régions rurales justement. Les foyers de la révolte sont des bourgs ruraux du centre-ouest et nord-ouest du pays.

Si une partie des revendications exprimées par les agriculteurs sont communes à l’ensemble des catégories sociales représentées dans le secteur (meilleure reconnaissance de la profession, mesures pour réduire l’endettement et les coûts de production, pour encourager l’investissement, réorganiser les circuits d’approvisionnement et de commercialisation, etc.), beaucoup d’entre elles illustrent les conflits d’intérêts qui opposent les divers groupes présents au sein du secteur.

D’un côté, certains groupes d’agriculteurs, parmi les mieux dotés, tentent de s’organiser sur des bases professionnelles, rejetant la mainmise du politique mais aussi l’influence grandissante de puissants acteurs économiques, tels que collecteurs privés, usines de transformation, etc. sur l’organisation des activités agricoles. Leurs initiatives se sont traduites dans la création d’un nouveau syndicat agricole (Synagri), syndicat indépendant qui recrute principalement parmi le groupe des entrepreneurs agricoles et qui ambitionne de devenir un interlocuteur crédible des pouvoirs publics.

De l’autre côté, et à côté d’une large fraction d’agriculteurs qui reste silencieuse, les actions organisées par des ouvriers agricoles, des petits agriculteurs et des paysans sans terre ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur l’ampleur du mécontentement et des frustrations parmi les populations rurales les plus démunies et sur les problèmes liés à l’inégale répartition des ressources foncières et économiques entre les divers groupes impliqués dans l’activité agricole.

Force est de constater cependant que les mobilisations sociales en milieu agricole et rural, particulièrement importantes durant la première phase de transition, ont continué à avoir peu d’écho dans le débat politique et qu’elles tardent à se traduire dans des orientations claires en matière de développement agricole.

Propos recueillis par la Fondation Farm

 

 

Agenda : Ali Gana sera présente au colloque FARM « Agriculture délaissée : terreau de l’insécurité » qui aura lieu le 16 décembre au Centre de conférences de l’OCDE Paris.

 

 

 

 

Actualités

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15