"Le monde agricole a besoin des pays développés"

Moussa Para Diallo, représentant d'instances agricoles guinéennes.

L’Afrique de l’Ouest est durement touchée par Ebola. Les frontières se ferment, les échanges s’amenuisent. Et le monde agricole souffre. Encore plus qu’avant. Moussa Para Diallo, représentant de nombreuses organisations agricoles guinéennes1, en appelle à la solidarité internationale.

 

Quels sont les impacts de l’épidémie d’Ebola sur les agriculteurs de Guinée Conakry?

Moussa Para Diallo : La Guinée et ses pays limitrophes sont en grand danger, et pas seulement à cause de l’épidémie d’Ebola en elle-même. Toutes ses frontières terrestres, navales et aériennes sont fermées à cause de l’épidémie, à l’exception d’une frontière terrestre avec le Mali qui a besoin de l’accès au port de Conakry. Du coup, les échanges commerciaux sont bloqués. L’économie de la Guinée en souffre, et les populations vont très rapidement sentir les effets de cet isolement. C’est une vraie maladie économique. Et personne ne peut aujourd’hui dire quand cela ira mieux.

De nombreux produits agricoles sont touchés par la baisse des exportations vers le Sénégal: huile de palme, café, igname, beurre de karité, avocat, agrumes, ananas, banane, pomme de terre, petites céréales comme le fonio. Et les importations depuis le Sénégal sont elles aussi bloquées: des produits manufacturés tels que le lait en poudre n’arrivent plus en Guinée.

Sans ces débouchés, les productions agricoles restent sur les bras des agriculteurs: les prix baissent, et passent sous la barre des coûts de production. Dans ce contexte, personne ne va replanter pour produire. Cela influencera les récoltes futures et la sécurité alimentaire de l’année à venir. Et cela aggrave encore la crise économique. Le système se grippe et le chômage des jeunes augmente. Nous sommes face à un très sérieux problème.

Comment cette crise affecte-t-elle le calendrier des cultures?

M. P. D. : La crise actuelle arrive juste avant la récolte du riz et du fonio et en fin de récoltes du maïs. Pour la pomme de terre, que nous récoltons trois à quatre fois par an, les pertes et prévisions de récoltes non vendues sont estimées de 30 à 45 milliards de francs guinéens (soit 3 à 5 millions d’euros). La CNOPG1 estime que les producteurs d’ananas ont déjà perdu 7 milliards de francs guinéens (soit 800000 euros).

La commercialisation entre les différentes régions de Guinée est-elle une solution pour les producteurs?

M. P. D. : La région touchée par Ebola est la zone forestière, au sud de la Guinée. Quelques cas sont répertoriés à Conakry et très peu de cas sont annoncés en Haute ou en Moyenne Guinée. Mais la peur est présente car il y a une non-maîtrise de l’épidémie et la rumeur tue avant la maladie. Les personnes circulent moins entre les régions par peur de la contamination. Le commerce informel est plus fluide à l’intérieur du pays mais les quantités ne sont pas très importantes.

Des moyens ont-ils été mis à disposition des agriculteurs ou de leurs organisations par le gouvernement?

M. P. D. : Il est très difficile pour le gouvernement d’assurer sa mission régalienne. Actuellement, les fonds disponibles doivent aller au secteur de la santé, à l’éducation pour rouvrir les écoles, à l’entretien des pistes et des routes. Alors, vus les moyens de l’État, il n’est pas évident d’accompagner les agriculteurs. On prévoit également que le ralentissement économique réduira les recettes de l’État pour l’année prochaine, et donc ses capacités d’actions.

Et les bailleurs du développement agricole: n’ont-ils pas dans ce contexte un rôle à jouer?

M. P. D. : Quelques-uns continuent à nous appuyer car nous avons des conventions en cours. C’est le cas du Fonds international pour le développement agricole (Fida), de l’Agence française de développement (AFD) ou l’Union européenne. Mais beaucoup de bailleurs de fonds ne viennent plus sur place par peur de la maladie; les projets sont alors suspendus. Certains se tournent vers d’autres pays en attendant que cela passe, d’autres après l’épidémie demanderont de nouvelles études de faisabilité du projet… Nous sommes franchement coincés si les bailleurs de fonds et les investisseurs cèdent à la dramatisation.

Les investissements sont aussi un problème. Il faudra certainement trois mois pour que l’épidémie s’estompe, six mois pour que les frontières puissent s'ouvrir à nouveau et que la commercialisation des produits agricoles reprenne. Et il faudra vraisemblablement au minimum une année pour que les investisseurs reviennent en Guinée.

Ces conditions affectent donc le déroulement quotidien de vos actions…

M. P. D. : En effet, il est nécessaire de prendre beaucoup de précautions avant de décider d’une réunion. Aujourd’hui, il y a peu de rencontres des représentants de la CNOPG, peu de déplacements vers les différentes régions de Guinée pour rencontrer les producteurs. On ne sait pas qui est malade alors on ne sait pas qui réunir pour une formation ou pour une réunion de fonctionnement de l’organisation. On a été les premiers à prendre les dispositions pour javelliser les bureaux des organisations paysannes de l’ensemble du pays et à informer des dispositions à prendre pour éviter la propagation d’Ebola dans les zones rurales. On attend de voir l’évolution pour savoir comment s’y prendre avec les conseils du gouvernement, des services de santé.

Quels messages voudriez-vous faire passer aux agriculteurs français et à leurs représentants?

M. P. D. : Les agriculteurs de Guinée étaient en difficulté avant l’épidémie d’Ebola. Aujourd’hui, c’est pire. Je vous appelle à nous regarder avec acuité: nous avons besoin des pays développés pour appuyer le monde agricole des pays touchés par Ebola, et pas seulement la Guinée. Des collègues agriculteurs traversent une grave crise et méritent votre soutien. Vous pouvez pousser vos gouvernements et vos organisations à nous venir en aide. Nous en avons vraiment besoin.

(1) Président de la Confédération nationale des organisations paysannes de Guinée (CNOPG), président de la Fédération des paysans du Fouta Djallon (FPFD), membre du bureau exécutif du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA)

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